23 juin 2009
PS : la rénovation improbable ?
À chaque défaite de leur parti, les socialistes entonnent l’air de la rénovation sans réaliser que cette incantation régulièrement prononcée ne débouche presque jamais sur quelque chose, et, du coup, sans se demander pourquoi il en est ainsi. Pour une fois, semble-t-il, l’une des propositions avancées semble-t-il dans les cercles dirigeants du parti, à savoir la désignation du candidat socialiste à l’élection présidentielle au moyen d’une élection primaire ouverte à tous les sympathisants, peut éviter que l’appel à la rénovation, au lieu de ne voir de solution que dans le cercle étroit du parti lui-même, ne se traduise par une ouverture du parti sur la société.
Cette question est essentielle dans la mesure où les années récentes ont montré à quel point le Parti socialiste était incapable de penser de manière cohérente et efficace son rapport au régime de la Cinquième République et à l’évolution de celui-ci vers une présidentialisation encore accrue. Et donc incapable d’élaborer des règles de désignation de son candidat dont l’application ne mette pas gravement en danger son unité tout en favorisant la désignation du meilleur candidat possible. En 2006, c’est l’opinion publique qui a imposé au parti, et en tout cas à son cercle dirigeant, dans un premier temps au moins, la désignation de Ségolène Royal. Depuis, l’appareil du parti s’est roulé en boule autour de sa conception du parti de militants pour tenter d’empêcher le retour de celle-ci. Non seulement la question de la désignation du candidat est ainsi complètement biaisée par les problèmes de personnes, chacun et chacune n’analysant la question qu’en fonction de ses propres situation et ambition personnelles, mais encore, la difficulté à l’examiner sereinement provient d’une conception dépassée du parti, qui, en voulant préserver la vision traditionnelle d’une organisation dont les membres ont un statut spécifique et différent des autres citoyens, une petite société à la quelle revient seule l’honneur et la responsabilité, mais surtout le pouvoir, de désigner son candidat. Il s’agit des restes de la culture du parti d’avant-garde, restes qui ne cadrent plus avec la société actuelle où les citoyens se considèrent parfaitement capables et se montrent désireux de peser sur la désignation du candidat de la famille politique dont ils se sentent le plus proches.
Ce qui paralyse aujourd’hui Martine Aubry, outre ses propres ambitions, c’est qu’elle incarne le vieux parti socialiste, celui qui tarde dramatiquement à s’adapter aux institutions et à assumer clairement cette adaptation, celui qui, du temps où il s’appelait SFIO, a failli mourir faute d’avoir compris ce que signifiait l’élection présidentielle au suffrage universel dans les nouvelles institutions et que François Mitterrand a tiré de justesse du coma. Elle l’incarne à la fois par ses propres préférences, mais aussi, et tragiquement, parce qu’elle a été choisie comme leader, pour des raisons tactiques, par plusieurs chefs de courant précisément pour défendre cette conception du parti contre Ségolène Royal.
Le malheur pour Martine Aubry est qu’elle se trouve maintenant prisonnière d’une attitude défensive et sans issue. En effet, quelle que soit l’opinion que l’on puisse avoir à l’égard de Ségolène Royal en tant que leader éventuel du Parti socialiste, il est clair que sur les deux éléments de clivage choisis par la direction actuelle pour la battre au congrès, le parti de militants contre le parti présidentiel et l’alliance seulement à gauche contre l’alliance large sur les deux ailes, c’est Ségolène Royal qui a raison. Les élections européennes l’ont montré d’une double manière. D’une part en confirmant qu’un parti sans un grand leader ne peut pas être un grand parti national, d’autre part en démentant l’éternel argument de la gauche du parti selon lequel la conservation d’un électorat populaire passe par l’alliance avec l’extrême-gauche. Le Parti socialiste a perdu près de 13 points de suffrages exprimés dimanche dernier et les partis situés à sa gauche en ont gagné seulement 3ou 4%. Les socialistes déçus ne votent pas d’abord à la gauche de la gauche mais à droite, au centre ou, cette fois, écologiste. Or Daniel Cohn-Bendit n’incarne pas la gauche de la gauche.
Ainsi, sur les deux questions politiques centrales à résoudre par le Parti socialiste s’il veut rester un grand parti de gouvernement, la question de l’ouverture du parti sur la société, notamment par le moyen de primaires ouvertes pour désigner le candidat à la présidence de la République, et celle d’alliances efficaces parce que correspondant aux vœux des électeurs et non à l’idéologie de la gauche du parti, Martine Aubry est dans les cordes et nécessairement sur la défensive. Renverser la table serait pour elle très difficile. Il faudrait pour cela qu’elle abandonne ses propres ambitions présidentielles et qu’elle se donne pour objectif central de sauver réellement le Parti socialiste en l’adaptant à son temps avant qu’il ne soit trop tard. C’est alors qu’elle pourrait se révéler une véritable dirigeante et non une responsable bridée par un appareil qui préféra toujours un statu quo suicidaire à un changement – remettre en cause leur pouvoir au sein de celui-ci.
Gérard Grunberg Directeur de recherche au CNRS / Sciences Po
© Telos.
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