02 juin 2009
Ci-gît le contrat de travail (1848-2009†)
Eclipsé par l'amendement Lefebvre sur le travail pendant les congés maladie, le projet de loi Poisson porte pourtant en lui un germe inquiétant : celui d'un contrat de travail négociable en tout point, le rêve du Medef.
La modernité, c'est le credo de Xavier Bertrand. Travailler pendant ses congés ? C'est une «idée nouvelle dans notre pays», se félicitait le secrétaire général de l'UMP le 26 mai sur France info, saluant l'initiative du porte-parole Frédéric Lefebvre. Son amendement provocateur, qui proposait le télétravail volontaire pendant les congés maladie ou maternité, a fait écran de fumée pendant la moitié de la semaine, certains médias en faisant même LA polémique du moment. Pendant que derrière le rideau de fer de la boutique UMP, le projet de loi Poisson (celui-là même que Lefebvre amendait), est passé sans un mot en commission.
Le prêt de salarié : l'intérim pour moins cher
Derrière ses trois axes pour «faciliter le maintien et la création d'emplois» (télétravail, prêt de main d'œuvre et groupement d'employeurs), le projet de loi Poisson est le cheval de Troie d'un assouplissement du contrat de travail. «Le prêt de main d'œuvre et le groupement d'employeurs peuvent être de très bonnes choses si ils sont encadrés, concède le socialiste Jean-Patrick Gille. Mais ce que propose ce projet de loi, c'est de lever les verrous à ces pratiques, ce qui expose les salariés à des négociations entre employeurs.»
Au centre des inquiétudes du PS, le prêt de main d'œuvre qui (hormis pour les intérimaires, les mannequins et les footballeurs) ne peut être lucratif pour le prêteur. «En se focalisant sur le prêteur, souligne le député, on oublie l'emprunteur, qui peut négocier le contrat de gré à gré avec l'autre entreprise !». En d'autres termes : le salarié peut être prêté à une boîte qui le traite moins bien (horaires, conditions de travail, etc.), peu importe à Poisson, du moment que l'employeur initial n'en tire aucun bénéfice! Contrairement à l'intérim, qui offre certaines garanties (dont la compensation financière de la précarité...), ces mécanismes permettent donc de contourner les exigences sociales, au bénéfice de celui qui «loue» le salarié.
Il y a six mois à peine, c'est Philippe Marini, proche du président de la République comme Frédéric Lefebvre, qui avait servi d'agneau sacrificiel : proposant de déduire des impôts les pertes essuyées par les boursicoteurs, il avait été la cible de tous les cris de la majorité et du gouvernement... dont il avait redoré le blason social alors que le plan de relance de Nicolas Sarkozy était critiqué de toute part du fait de l'absence d'un volet «pouvoir d'achat». L'amendement Lefebvre en lieu et place de Marini joue le même rôle de chiffon rouge, faisant passer par son excès de libéralisme n'importe quelle proposition de démantèlement social, comme le projet de loi Poisson, pour une brillante victoire syndicale. Surtout en temps de crise.
Crainte du chômage + crise du pouvoir d'achat = fragilisation des travailleurs. Difficile par les temps qui courent pour un ouvrier de refuser un prêt de main d'œuvre qui peut lui garantir son job... même dans des conditions de travail inférieures. «Il faut se méfier de la créativité des DRH», met en garde Jean-Patrick Gille. Mais ces verrous levés pour la crise ne pourront pas se refermer une fois l'économie repartie : le conjoncturel ayant imposé un cadre légal, il sera trop tard pour revenir sur la «loi Poisson» et ses groupements d'employeurs débridés. Et, à terme, un contrat de travail «négociable» en tout point : conditions de travail, durée des congés, télétravail et autres «idées nouvelles» que l'UMP ne manquera pas de suggérer lors de longues et tardives discussions parlementaires...
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