Dévoyée, elle aurait pu bénéficier à Claude Allègre qui, en dépit de ce qu'il affirme n'est plus guère socialiste et contrairement à ce qu'il prétend, ne représenterait pas un inestimable capital. Heureusement le succès de la liste écologiste aux élections européennes a fait capoter le processus. D'ailleurs, c'est bien fait pour quelqu'un si fier d'être ministre avant l'heure !
André Vallini, c'est autre chose, c'est quelqu'un d'autre, c'est quelqu'un. Des convictions fortes qu'il souhaite faire partager, une vision de gauche généreuse, humaniste et solidaire - qui pourrait convaincre si on ne la sentait davantage pétrie d'espérance que de réalisme -, une résistance à ce que l'ambition à n'importe quel prix a de vulgaire, un "honnête" homme avec lequel non seulement on ne répugne pas à dialoguer mais qui fait désirer l'échange. Parce qu'il exprime une pensée, notamment judiciaire, qui stimule et favorise le débat. Etre capable de penser contre soi constitue une qualité rare mais André Vallini ne conduit pas à cette extrémité : on a le droit, même adversaire, de penser avec lui.
La lettre qu'André Vallini a publiée dans Le Monde et qui était destinée au "nouveau garde des Sceaux" - on ne connaissait pas encore son identité - me semble un parfait exemple de ce que l'ouverture, dans son acception profonde et non tactique, offre de plus riche.
André Vallini propose au futur ministre de la Justice - donc, aujourd'hui, à Mme Alliot-Marie - de cibler son action sur trois objectifs principaux. Le premier : une justice accessible et efficace. Le deuxième : une justice indépendante et respectée. Le dernier : une justice sereine et apaisée.
Je n'ai pratiquement rien à redire sur l'exposition d'un tel projet qui fait coïncider le bon sens, l'équité et l'efficacité. On sent tout de même, ici ou là, le regard idéologique qui vient brouiller un tantinet la lucidité. S'il est évident que la justice est "trop lente, trop chère, trop compliquée", il est abusif de soutenir, en réduisant à rien son évolution positive sur ce plan, qu'aujourd'hui elle est "dure avec les faibles et faible devant les puissants". Je sais qu'il s'agit d'une caricature qui pour être contredite quotidiennement par beaucoup de mes collègues demeure inscrite au fronton de l'opposition et des mouvements plus soucieux de conserver leurs préjugés que de privilégier les nuances. La justice de classe, proprement dite, est derrière nous depuis longtemps.
En revanche, André Vallini vise juste et à bon escient lorsqu'il dénonce les risques d'une politique que l'émotion, la démagogie l'exploitant et la précipitation parlementaire la traduisant, inspireraient. Si la classe politique est évidemment appelée à partager avec le peuple l'indignation collective devant tel ou tel crime, il serait dévastateur pour la première, se trompant sur les attentes du second, d'agir sans pensée et d'improviser sans distance. Penser lentement est le moyen le plus sûr pour agir vite, surtout dans ces matières qu'il convient en effet d'aborder avec "l'esprit tremblant".
Enfin, la justice "indépendante et respectée" que le président Vallini espère appelle, pour devenir d'actualité, au moins une double métamorphose, l'une à court et à moyen terme, l'autre de longue haleine.
La première implique qu'une politique de nominations cohérente et impartiale soit mise en oeuvre. Qu'on cesse de favoriser les complaisants, les caractères faibles et opportunistes au détriment des esprits puissants et libres. L'intelligence critique vaudra toujours mieux que l'adhésion mécanique. Des hommes qui conviennent pour les postes d'autorité et de pouvoir - j'y inclus les responsables des tribunaux de grande instance - seraient une perspective enthousiasmante pour une magistrature trop souvent "plombée", pour le respect de ses valeurs et principes, par ceux qu'on promeut et que la hantise de leur position tétanise.
La seconde exige beaucoup du corps judiciaire. Une justice respectée implique une magistrature respectable. La grâce ne nous tombera pas du ciel ni de l'Etat. Elle ne viendra récompenser notre action que dans la mesure où le citoyen nous donnera quitus sur un plan général pour notre attitude en démocratie, et plus spécialement, pour la manière dont nous saurons chaque jour ne pas décevoir les justiciables, quel que soit leur statut.
André Vallini, à partir des prémisses qu'il a fait connaître dans sa lettre, est clairement un homme, une personnalité d'ouverture. Je me demande si les véritables êtres d'ouverture en politique, gauche et droite confondues, ne sont pas ceux qui demeurent en dehors des gouvernements pour ne jamais voir, dans le dialogue républicain, leur parole confisquée, instrumentalisée ou appauvrie.
Philippe Bilger,Avocat Général près la cour d'appel de Paris
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