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24 juin 2009

Désinvolture sarkozienne

La "promotion" de Bruno Le Maire (40 ans) au ministère de l'agriculture, en remplacement de Michel Barnier, est une faute politique. Nommé il y a seulement six mois au secrétariat d'Etat aux affaires européennes, après le départ de l'excellent Jean-Pierre Jouyet, ce germanophone fort en thème a su réconcilier l'administration Sarkozy avec le gouvernement allemand. On ne cachait pas à Berlin avoir apprécié ce geste politique et, de fait, Le Maire a su dissiper les malentendus qui s'accumulaient entre les deux partenaires. Au point qu'aujourd'hui le couple apparait plus soudé que jamais. Comment sera interprété son départ alors qu'il a à peine eu le temps de s'installer dans son rôle? Manifestement, on ne s'en est guère préoccupé à l'Elysée où les questions de politique intérieure ont manifestement dominé ce remaniement. Au minimum, on y verra de la désinvolture sarkozienne à l'égard de l'Europe, mais aussi de la relation franco-allemande.

Pierre Lellouche (58 ans), qui va occuper les fonctions de secrétaire d'Etat aux affaires européennes, est l'un des poids lourds de l'UMP frustré par l'ouverture, car privé de poste ministériel. Il devenait urgent de  récompenser ce chiraquien passé au sarkozysme. Certes, l'homme est un bon connaisseur des affaires internationales, mais pas précisément des questions européennes. Contrairement à Bruno Le Maire, il n'est pas germanophone et il n'est pas sûr que son côté bulldozer plaise aux Allemands. Mais son atlantisme proclamé (au point d'avoir soutenu l'intervention américaine en Irak) devrait jouer en sa faveur au sein d'une Europe partageant trés majoritairement ses vues.
Le fait qu'il soit favorable à l'adhésion de la Turquie n'est pas, à mon sens, très important: Bernard Kouchner, son ministre de tutelle, l'est aussi, mais il a fini par changer d'avis. Lellouche appliquera la politique qu'on lui demandera d'appliquer.
Jean Quatremer

23 juin 2009

La corruption de la République

Comment qualifier le phénomène auquel on assiste depuis des années sinon de « corruption », au sens d’une corrosion lente de notre esprit républicain ? Ce processus, qu’il faut analyser en détail, n’est d’ailleurs pas sans rapport avec le « déshonneur des élites » auquel j’avais fait allusion voici quelque temps. Il en est en réalité une nouvelle manifestation.

Jacques Chirac a incontestablement ouvert la voie. Je ne veux pas ici faire allusion aux innombrables affaires auxquelles l'ancien Président de la République a été mêlé, mais à la manière dont il a exercé sa fonction : la pratique institutionnelle étant devenue alors de pure convenance personnelle. Que l’on se souvienne :

    * Une dissolution décidée en 1997 uniquement pour ne pas avoir à faire appel à la fraction de la majorité qui n’avait pas soutenu sa candidature…

    * Le refus de tirer les conséquences des conditions de sa réélection obtenue pourtant à 80%, en restant concentré sur son camp, j’oserais dire sur son clan…

    *Le maintien contre vents et marées, malgré les déconvenues électorales et au point de faire perdre le référendum sur le Traité constitutionnel, d’un Premier ministre déconsidéré, Jean-Pierre Raffarin, pour ne pas avoir à nommer Nicolas Sarkozy à la tête du Gouvernement…

    * Et pour clore la séquence, l’annonce du maintien de la loi sur le CPE et, dans le même mouvement, celle de sa modification immédiate, cédant, au prix du ridicule, à la pression de son Premier ministre d’alors…

Jamais un chef de l’État n’aura autant donné l’impression de l’avoir été aussi peu.
Le processus amorcé depuis l’élection de Nicolas Sarkozy est de nature différente mais aboutit au même résultat. Son objectif n’est pas, contrairement à l’esprit de la Vème République, de rassembler les Français autour d’un projet, mais au contraire de diviser à l’extrême ses adversaires en jouant de leurs antagonismes, en profitant surtout de leurs faiblesses, au point de les priver de toute crédibilité. Et il y parvient au-delà du raisonnable.

La République est, en effet, en déséquilibre puisque le chef de l’État fait tout pour ne plus avoir en face de lui de véritable opposition, c'est-à-dire, non pas une force capable de le critiquer (elle ne s'en prive pas), mais d’offrir une alternative à sa politique et à son action. La réunion du Congrès en témoigne à l’excès : l’intervention du chef de l’État a suscité immédiatement la dispersion de ses opposants sur des lignes antagonistes. Si bien qu’à la parole présidentielle n'a répondu qu’une cacophonie de grognements et de protestations plutôt qu’un discours articulé. Le ton qu'il a employé a le même objet : après son intervention devant l'OIT, sil s'agit d'occuper un espace idéologique qui va de la droite au centre gauche, mêlant les références à Jaurès et Albert Thomas à l'exigence d'une régulation économique et sociale que les altermondialistes pourraient faire leur.

Ne reste plus, sur son piédestal, que la figure du chef de l’État. Les conséquences de cette situation sont évidemment redoutables : nos citoyens perdent confiance ; les corps intermédiaires de toute sorte sont vidés de leur substance ; le dialogue social instrumentalisé. La « corruption » de la République est bien à son comble : si l’on peut régner sur un champ de ruines, on ne peut gouverner ainsi une République…

Gaëtan Gorce