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20 juin 2009

Le désert des quadras

Ces derniers jours, un vent de folie a soufflé sur la génération dite des « quadras » au Parti socialiste. Ces quadras, qui n’ont déjà plus tous la quarantaine, ce sont ces hiérarques socialistes, assez vieux pour avoir bénéficié du dernier passage au pouvoir du parti, avec Lionel Jospin, de 1997 à 2002, mais trop jeunes pour ne pas espérer profiter, plus encore, d’une nouvelle occasion.

Ils ont eu une idée : être candidats à l’élection présidentielle de 2012 sur l’air de « pourquoi pas moi ? ».

Il faut dire qu’ils n’en peuvent plus. A force d’attendre, l’arme au pied et la rose au poing, une victoire nationale de la gauche, ils n’ont toujours pas pu goûter aux délices ministérielles. Malgré une traversée déjà longue, ils n’ont pas encore pu monter sur le pont. Et, évidemment, chaque nouvelle défaite éloigne un peu le jour de leur indispensable ascension.

Alors même que leurs aînés – la génération précédente qui, elle, a goûté au vrai pouvoir sous Mitterrand et Jospin –, ceux précisément qu’ils tiennent pour responsables de leur situation, refusent de lâcher la barre. Alors que les plus jeunes, la trentaine à peine dépassée, affichent leurs ambitions. Alors que les quadras de la droite ont déjà eu, eux, tout le temps de s’échanger portefeuilles ministériels et postes de commandement au parti, engrangeant ainsi une irremplaçable expérience.

Bref, à la fois lestés, pressés et cernés, ils piétinent. Et en politique, aujourd’hui, piétiner, c’est mourir. La seule idée d’une nouvelle défaite en 2012 leur est donc insupportable. Ce serait une pelletée de terre supplémentaire sur le cercueil de leurs ambitions. Ils deviendraient alors trop vieux – un comble… – pour avoir une chance de jouer le titre suprême dans de bonnes conditions. Il faut dire que la perspective de devenir secrétaire d’Etat à 60 ans n’était pas vraiment inscrite dans leur plan de carrière.

D’aucuns diront qu’ils récoltent ce qu’ils ont semé. Et qu’à force de passer d’une écurie de présidentiable à une autre, de se mettre toujours à couvert plutôt que de prendre leur destin en main, de ne jamais avoir une idée plus haute que l’autre ou de ne jamais penser qu’individuellement à leur devenir… ils ne pouvaient pas espérer autre chose.

Certes, mais il est terrible de les voir se débattre avec tant d’énergie dans ce filet dont les mailles se resserrent dangereusement, même s’ils ont contribué à le tisser. On ne sait si l’on doit rire ou pleurer du caractère à la fois dérisoire et pathétique de ces parcours politiques dont on entrevoit déjà la fin avant même qu’ils n’aient pu réellement commencer.

Surtout, cela ruine encore un peu plus l’image du Parti socialiste et retarde d’autant son urgente réinvention.

Laurent Bouvet - Universitaire

19 juin 2009

L’urgence d’une social-écologie

Jean-Claude Monod philosophe, chercheur au CNRS.

Bien au-delà d’un résultat conjoncturel, l’égalisation des niveaux électoraux du parti socialiste et des Verts pourrait constituer une chance de recomposition de l’équilibre d’ensemble de la gauche. Cette recomposition implique de reconnaître que le PS a perdu non seulement sa vocation hégémonique «naturelle» sur la constellation de la gauche de gouvernement, mais aussi les conditions de son hégémonie sur les demandes sociales «de gauche». Hégémonie n’est pas ici à entendre en un sens péjoratif, mais au sens qu’ont élaboré des théoriciens marxistes et post-marxistes comme Gramsci et, plus récemment, Ernesto Laclau : dans des sociétés démocratiques et capitalistes aussi complexes que les nôtres, la gauche ne représente plus «une» classe (ouvrière), elle doit construire des «chaînes d’équivalences» et organiser des alliances autour de mots d’ordre qui agrègent des demandes sociales diverses émanant de groupes transversaux.

Ces groupes ne se constituent plus à partir d’une identité de condition, mais à partir de leurs revendications ou de leurs aspirations. La gauche socialiste a un temps su combiner son identité de parti ouvrier et de chambre d’écho des mouvements sociaux, pour l’extension des droits des femmes, des homosexuels, des immigrés, des prisonniers, etc. Elle n’y parvient plus, pour des motifs à la fois intellectuels, organisationnels et sociologiques.

Motifs intellectuels : le socialisme a été pensé dans le cadre de la société industrielle ascendante et triomphante, pour rendre possible une autre organisation de la production. Le productivisme implicite de cette philosophie politique a été mis en cause depuis des décennies, par des théoriciens restés marginaux, comme André Gorz, dont la conclusion était la nécessité d’une refondation du socialisme sur deux piliers, le social élargi au-delà de la base ouvrière initiale, et l’écologique, en rupture avec la glorification stalinienne de la grande industrie. Faute d’avoir opéré cette refonte du socialisme en social écologisme, le socialisme risque d’être balayé par l’urgence écologique et par l’inquiétude, scientifiquement fondée, pour l’avenir très proche de la Planète. Avoir fait de cette inquiétude un souci «bobo» en lui opposant le primat du social a été une erreur durable de certaines franges du PS.

Au plan doctrinal, la social-démocratie européenne ne semble offrir qu’un horizon de protection et de préservation des acquis de l’Etat-Providence, là où une social-écologie pourrait prendre motif de la faillite du capitalisme spéculatif et destructeur pour proposer un projet mobilisateur, enthousiasmant, d’invention de modes de production fondés non sur l’exploitation indéfinie des ressources et des hommes, mais sur un souci de justice et de viabilité. Les inventions sociales en matière de commerce équitable, de microcrédit, de banque pour les pauvres, de notation sociale des entreprises, pourraient ici se conjuguer avec les propositions de reprise en main du secteur bancaire, de taxation des banques d’affaires et de contrôle des banques de dépôt, etc.

Au plan organisationnel, la forme-parti a un temps constitué un vecteur efficace d’hégémonie du PS sur la gauche, dans sa capacité à articuler les sensibilités diverses et à en produire une synthèse, finalement portée par un projet et par un candidat souvent formé au syndicalisme, à la gestion municipale ou au mandat parlementaire. Cette forme apparaît aujourd’hui comme une machinerie autodestructrice, absorbant l’essentiel des énergies dans la production de divisions personnelles. L’obsession des Partis socialistes et communistes pour la conquête du pouvoir d’Etat et, en France, pour la place présidentielle, a contribué à leur discrédit présent, par contraste avec la culture libertaire, associative, des écologistes. Les premiers paraissent aimantés par le pouvoir d’Etat, si bien que la parole de leurs leaders semble toujours tramée d’arrière-pensées, préoccupée par un positionnement stratégique, là où la parole des seconds paraît portée par une volonté de transformation politique soutenue par des convictions, tenant la société civile ou l’Europe pour des lieux d’action authentiques. Une gauche déprise de l’hégémonie des partis socialistes, pour le bien même du socialisme d’aujourd’hui, devrait permettre l’émergence de personnalités dont les convictions ne seraient pas vouées à s’épuiser dans les jeux d’appareil.

Au plan sociologique enfin, la perte d’hégémonie «naturelle» du PS correspond au fait que ni les ouvriers, ni les employés, ni les «classes moyennes», ni les enseignants, ne sont des «classes» organiquement liées à un parti. Le PS a perdu sa capacité hégémonique en perdant sa capacité à figurer une alternative à une droite qui s’est elle-même emparée des thématiques réformistes, régulationnistes, et protectrices. Il importe peu de décider qui, du PS ou des Verts, doit être en position d’hégémonie ; en revanche, le désir d’une «autre» politique doit trouver une nouvelle surface d’émergence, impliquant d’inventer un social écologisme où les groupes qui ont dispersé leur vote le 7 mai pourront se reconnaître et s’allier.