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12 mai 2009

Jean-Marc Jancovici : « On vit à crédit écologique »

Dans « C'est maintenant ! Trois ans pour sauver le monde », Jean-Marc Jancovici nous force à voir une vérité qui dérange : notre économie vit comme si l'énergie était infinie et bon marché. Continuer à l'ignorer, c'est aller au-devant d'un chaos certain. Entretien.

Jean-Marc Jancovici est le « monsieur crise énergétique » de Nicolas Hulot, dont il avait contribué au pacte écologique. C'est à ce titre qu'il a participé au Grenelle de l'Environnement dans le groupe « changement climatique ». Cet ingénieur polytechnicien partage aussi son temps entre l'enseignement, l'écriture, et sa société de conseil en réduction d'impact climatique pour les entreprises, Carbone 4 (fondée avec son co-auteur l'économiste Alain Grandjean). Il a aussi créé les outils permettant de faire son bilan carbone personnel.

Au fil de ses conférences, sur un ton jovial et spirituel, à la limite du moqueur, il répète que ce qu'il avance est « juste destiné à sauver la planète ». Pourquoi ? C'est très logique :

« Le prix de l'énergie conditionne la transformation du monde. Et si on n'a plus d'énergie abondante à un prix faible, l'économie freine. Or le prix du pétrole a été multiplié par dix entre 2000 et 2008. On l'avait tragiquement oublié. »

« En apparence, la vie continue comme avant »

Petite explication pour comprendre le titre de son livre : c'est « maintenant » que la production de pétrole atteint son maximum, avant de décliner. Cette énergie dont toute l'économie dépend ne sera bientôt plus disponible, il est donc urgent de s'adapter.

« Pour un tas de gens, en apparence la vie continue comme avant. Mais si on ne réoriente pas l'économie avec un préavis suffisant, cela se fera de manière spontanée et extrêmement violente. »

« Pas de repas gratuit »

Qu'on soit prévenu : le seul choix qu'il reste est « entre la souffrance et la mise au régime, mais il n'y aura pas de repas gratuit ». Et puisqu'en économie tout passe par le prix, il faut en donner un à ce qui nous pose problème, donc taxer la consommation de carburant (et donc les émissions de CO2) par le biais de la « taxe carbone ».

Une taxe douloureuse certes, mais qui ferait naître des opportunités. Avec ses recettes, l'Etat pourrait augmenter ses ressources, diminuer la TVA ou d'autres taxes, ou les consacrer à la nécessaire transformation de l'économie.

Car demain, dans un monde qui aurait entendu Jean-Marc Jancovici, les maisons seraient mieux isolées et moins chauffées, les conseils d'administration se réuniraient par visioconférences au lieu de prendre l'avion... autant de choses que « nous avons du mal à admettre dans nos cervelles d'enfants gâtés ».

Le court-termisme des élus

Deux ans après la réunion du Grenelle de l'Environnement, « il nous faut gravir l'Everest et on a fait le huitième du quart du chemin jusqu'au camp de base », résume Jean-Marc Jancovici.

Nos élus sont guidés par une vision à court-terme qui les empêche d'imposer aux électeurs ce qui serait, à long terme, bon pour eux.

« Les gens qui nous gouvernent sont nuls sur la compréhension de la
contrainte : ils n'ont pas fait de physique et continuent à raisonner
dans un univers infini qui n'existe pas. »

« On confond nos besoins et nos désirs »

Jean-Marc Jancovici n'a pas de téléphone portable, ne mange pas de viande rouge et se déplace en transports en commun. Une certaine frugalité qu'il nous propose d'adopter, par nécessité. Nous ne sommes visiblement pas prêt :

« La barrière de ce qu'on appelle un luxe n'arrête pas de se déplacer, sauter dans un avion comme on respire est devenu normal. On confond nos besoins, qui sont de boire, manger, se reproduire et socialiser, avec nos désirs solvables. »

Et à ceux qui croient que le progrès scientifique pourrait nous tirer d'affaire, il répond tout net :

« La technologie s'investit là où le système socio économique lui dit d'aller : c'est la loi qui orientera le progrès. Jusqu'ici nous vivons à crédit écologique. »

S'il a écrit ce livre après « Le Changement climatique expliqué à ma fille », c'est qu'il pense que le consommateur a le pouvoir de réveiller les politiques sur ces enjeux.

Sophie Verney-Caillat

« C'est maintenant ! Trois ans pour sauver le monde » de Jean-Marc Jancovici et Bernard Granjean, Seuil, 2009.

 

Européennes: pourquoi tant d'abstention?

Décidemment, l’Europe se vend mal. L’abstention, lors des élections européennes du 7 juin, devrait battre de nouveaux records, et pas seulement en France, si l’on en croît les enquêtes d’opinion. Depuis 1979, date de la première élection au suffrage universel direct du Parlement européen, celle-ci n’a fait que croître inexorablement dans l’Union : 37 % en 1979, 39 % en 1984, 41,5 % en 1989, 43,2 % en 1994, 50,6 % en 1999 et 54,3 % en 2004. Pourtant, dans le même temps, les pouvoirs de l’Europarlement, la seule institution communautaire directement élu par les citoyens, n’ont fait que se renforcer au point qu’aujourd’hui il est difficile de lui contester un rôle majeur dans la politique européenne. Comment, dès lors, expliquer un tel divorce entre la réalité institutionnelle et des électeurs dont le sentiment pro-européen ne se dément pas ?

Comme le reconnaît Alain Lamassoure, député européen sortant UMP, il est difficile de se mobiliser pour une élection « qui n’aura que peu d’influence sur le gouvernement de l’Union qu’est la Commission ». En effet, on sait déjà que José Manuel Durao Barroso, l’actuel président de l’exécutif européen, sera, sauf accident industriel majeur, reconduit dans ses fonctions. Car le choix du président de la Commission revient, en réalité, au Conseil européen des chefs d’Etat et de gouvernement qui doit simplement tenir « compte du résultat des élections », en clair choisir une personnalité issue du principal groupe politique. Or, les Vingt-sept soutiennent Barroso, y compris les Etats gouvernés par des socialistes et, selon toute vraisemblance, le PPE (parti populaire européen, conservateur) devrait rester le premier groupe de l’Assemblée. Et celui-ci soutient aussi la reconduction de Barroso… La messe est donc dite, à tel point que les socialistes européens ont renoncé à lui opposer un candidat. De même, on sait que les vingt-six autres commissaires seront discrétionnairement choisis par chaque gouvernement, sans tenir aucun compte du résultat des élections européennes : chacun enverra à Bruxelles un homme ou une femme de sa couleur politique, point.

En outre, le mode de scrutin, la proportionnelle au sein de circonscriptions nationales, rend impossible l’émergence d’une majorité tranchée de gauche ou de droite. Les « grandes coalitions » sont donc le mode de fonctionnement normal du Parlement, une tradition que connaissent certes des pays comme l’Allemagne ou l’Autriche, mais qui est étrangère à la France, à la Grande-Bretagne ou à l’Espagne. Il ne faut pas non plus perdre de vue que « gauche » et « droite » ne sont que des appellations commodes au niveau européen: en réalité, les cent quatre vingt-cinq partis politiques qui se partagent les suffrages des citoyens à travers l’Union ont certes des traits communs, mais surtout beaucoup de divergence. Par exemple, un travailliste britannique, qui siège au sein du PSE, est souvent plus proche d’un Français de l’UMP que d’un socialiste français et il vote en conséquence… En outre, il y a des logiques nationales à l’œuvre au sein du Parlement européen qui suscitent des regroupements inimaginables dans un pays, dès lors qu’il s’agit de défendre les intérêts nationaux. Autant dire que le fonctionnement du Parlement est plus proche du « bipartisanisme » du Congrès américain, où les majorités varient au grès des circonstances et des textes, que de l’opposition front contre front de la chambre des Communes britannique…

L’Union n’étant pas un Etat fédéral, un système majoritaire est impossible. Un gouvernement de gauche pourrait-il par exemple, accepter de se voir imposer durant cinq ans une politique de droite par un Parlement et une Commission majoritairement de droite ?  Poser la question c’est y répondre. La recherche du compromis est consubstantielle à l’Union, ce qui rend sa politique difficilement lisible. On comprend que l’électeur s’y perde.

On peut dès lors se demander s’il était bien nécessaire de faire élire au suffrage universel direct le Parlement européen : en déséquilibrant une construction qui a été pensée dès l’origine comme une union d’États et dont la légitimité démocratique s’exerçait uniquement au second degré, cette innovation a sans doute concouru à renforcer le sentiment que l’Union souffrait d’un grave déficit démocratique. Le seul moyen d’y remédier ne serait évidemment pas de revenir en arrière, cela étant démocratiquement inacceptable, mais de créer un véritable État fédéral (au sens américain du terme). Malheureusement, les États n’y sont pas prêts. La chute de la participation ne peut donc que se poursuivre. Mais après tout, les Etats-Unis d'Amérique vivent bien avec une participation qui dépasse rarement les 40%...

Jean Quatremer